Quelles seront les conséquences de la pandémie de Covid-19 pour le secteur de l’alimentation et de l’agriculture ? Quel sera l’impact sur la transition vers une production et une consommation alimentaires plus durables ? Agne Rackauskaite, co-gérante de portefeuille de la stratégie Alimentation durable d’Impax Asset Management, présente aux investisseurs son point de vue sur les perspectives post-pandémie.
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Impact de la Covid-19 sur le comportement des consommateurs
Ce que nous avons observé jusqu’à présent est une accélération des tendances existantes. Les consommateurs sont aujourd’hui beaucoup plus conscients du lien entre leur alimentation et leur santé. Dans certains cas, cette sensibilisation accrue concerne le lien entre l’obésité et les problèmes de santé liés à la Covid-19.
L’un des changements les plus notables est la désaffectation pour les aliments transformés au profit d’aliments plus naturels. Alors que par le passé les consommateurs étaient davantage influencés par le prix et le pouvoir des marques, ils s’intéressent désormais aux aliments en tant que tels, à savoir leurs ingrédients, la façon dont ils sont produits et leur provenance.
Une sensibilisation accrue aux questions de santé liées à l’alimentation
La pandémie a accéléré les changements d’attitude des consommateurs, ce qui se traduit par une croissance de la demande d’aliments plus sains. La catégorie des aliments naturels, qui regroupe les en-cas bons pour la santé comme les barres aux fruits et aux noix ou encore les chips aux algues, devrait continuer à enregistrer un taux de croissance annuel proche de 10 %, à mesure qu’elle gagne des parts de marché sur les aliments transformés.
La pandémie a également fait prendre conscience de l’importance de notre système immunitaire. Cette tendance a dopé les ventes de produits nutritionnels, tels que les compléments probiotiques (bactéries et/ou levures présentes naturellement dans le corps humain).
Les opportunités d’investissement sont nombreuses, mais ce sont les producteurs d’ingrédients de spécialités qui se trouvent actuellement dans la meilleure situation. Ils répondent à la forte demande d’aliments plus sains en travaillant avec des fabricants pour reprogrammer les produits, par exemple en réduisant la teneur en sel et en sucre, tout en conservant les bienfaits gustatifs. Les entreprises opérant dans les sous-secteurs des ingrédients naturels, des additifs alimentaires et nutritionnels, des arômes, des couleurs, des émulsifiants, des cultures et les enzymes présentent toutes des opportunités d’investissement.
À plus long terme, au-delà des effets de la Covid-19, nous pensons que ces nouvelles tendances vont se pérenniser et que la demande va atteindre des niveaux élevés, ce type de nourriture séduisant un nombre accru de consommateurs.
La dématérialisation renforce le pouvoir des consommateurs
L’essor du commerce électronique a naturellement un impact sur la consommation alimentaire. Jusqu’à présent, les achats en ligne se sont accompagnés d’une augmentation de la taille du panier et d’une réduction de la fréquence des achats. Les consommateurs ont préféré s’approvisionner dans les magasins proches de leur domicile.
Là encore, ils se concentrent moins sur le prix et les marques et davantage sur les aliments eux-mêmes. Ils veulent connaître leur provenance et leur teneur. La dématérialisation leur a donné les outils nécessaires pour accéder à des analyses et des évaluations de la qualité des différents produits lors de leurs achats. Les fabricants de produits alimentaires doivent donc s’adapter.
Les aliments d’origine végétale se généralisent
Autre changement crucial, la transition en faveur des régimes alimentaires à base de végétaux. De plus en plus, les consommateurs préfèrent éviter les produits carnés et laitiers nocifs pour l’environnement et les remplacer par des alternatives végétales.
L’essor des régimes flexitariens, avec moins de viande et plus d’aliments d’origine végétale, s’explique par des préoccupations croissantes en matière d’environnement, de santé et de bien-être animal. Les alternatives à la viande se développent rapidement et les ventes de protéines d’origine végétale devraient augmenter considérablement au cours de la prochaine décennie. Nous pensons que la croissance de ces « viandes » dépassera largement celle des viandes traditionnelles, à l’image de l’impact sur le lait liquide des nouvelles boissons à base de plantes.
Prenons l’exemple des protéines d’origine végétale : il y a quelques années encore, il s’agissait d’un modeste segment de niche qui se limitait aux seuls végétariens et végétaliens. Le niveau d’innovation et la qualité des produits était franchement médiocre.
Aujourd’hui, les protéines d’origine végétale se généralisent car :
- les consommateurs sont davantage sensibilisés aux incidences de la consommation de viande sur l’environnement et la santé
- plus ces marchés prospèrent, plus le développement des produits accélère. Il existe désormais une gamme beaucoup plus étoffée de produits savoureux présentant de meilleurs profils nutritionnels.
- le lancement des « viandes » d’origine végétale auprès du grand public a bénéficié d’une avancée majeure il y a quelques années, lorsqu’un changement stratégique a été apporté à la vente en magasin. Au lieu d’être présenté dans les rayons – à rotation lente – des produits surgelés et de spécialité, ce type d’aliment a été déplacé dans les rayons de viande fraîche. Ils ont donc bénéficié d’une visibilité accrue auprès des consommateurs et ont gagné en notoriété.
Nous sommes tous des chefs …
Et n’oublions pas un autre changement de consommation qui va selon nous se pérenniser après la pandémie : la volonté accrue des consommateurs de cuisiner chez eux et d’accueillir des invités. Cette propension tiendra surtout à la transition vers le travail flexible.
L’impact de la Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement alimentaire
La pandémie a mis en évidence les faiblesses de divers pans de la chaîne d’approvisionnement. Dès le début, nous avons constaté des perturbations importantes dans l’approvisionnement en matières premières agricoles, notamment en raison de la fermeture des frontières. À l’avenir, le développement de diverses technologies et pratiques devrait permettre de réduire les intrants nécessaires à la production alimentaire.
En avril et en mai derniers, pendant la pandémie, nous avons également observé un arrêt de l’approvisionnement en viande, car les usines de conditionnement étaient fréquemment considérées comme des lieux d’infections à la Covid-19. Il s’agissait d’une tendance mondiale, mais elle s’est révélée particulièrement notable aux États-Unis, où la consolidation a exposé le secteur à ce type de rupture.
Nous avons toutefois été rassurés par la résilience d’autres composantes de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Afin de veiller à ce qu’il y ait de la nourriture dans les rayonnages, les distributeurs alimentaires ont réagi très tôt en demandant aux fournisseurs de réduire leurs gammes de produits et de se concentrer sur les principaux produits de base. Au lieu de 10 sortes de jus d’orange, le choix se limitait à un ou deux. La taille des emballages a été standardisé et les innovations réduites pour assurer une distribution adéquate de produits alimentaires.
Nous prévoyons des évolutions importantes pour l’avenir. La résistance au changement dans les modes d’approvisionnement jouera un rôle essentiel. La pandémie a témoigné des bienfaits à investir dans des entreprises intégrées verticalement qui ont un meilleur contrôle sur leur chaîne d’approvisionnement.
Les chaînes d’approvisionnement pourraient être relocalisées. Nous pourrions également assister à une augmentation des investissements dans une agriculture dont l’environnement est contrôlé, en particulier dans les pays qui dépendent fortement des importations de produits alimentaires
Autre priorité future : réduire le gaspillage alimentaire existant à tous les niveaux de la chaîne de valeur alimentaire, que ce soit pendant le transport ou le stockage. Prolonger la durée de conservation des denrées périssables peut avoir un impact considérable sur la réduction des déchets alimentaires. Les entreprises produisant des conservateurs naturels, tels que l’acide lactique, devraient en profiter.
Les défis à court terme pour les investisseurs
À court terme, les pressions inflationnistes constituent un défi majeur. Dans l’ensemble du secteur alimentaire, des cultures à la consommation, on observe une augmentation des prix des matières premières, de la main-d’œuvre, du fret et des emballages. De nombreux acteurs de la chaîne de valeur signalent cette tendance.
Si, au plus haut de la chaîne de valeur la hausse des prix des denrées alimentaires peut être favorable aux producteurs, comment les entreprises en aval de la chaîne peuvent maintenir leurs marges brutes compte tenu de l’augmentation des coûts.
En tant qu’investisseurs, nous pensons que la meilleure stratégie face à une telle situation est d’investir sur toute la chaîne de valeur et de diversifier les risques. Autrement dit, nous recherchons des modèles économiques très intégrés et des entreprises capables de maintenir leurs marges, en répercutant la hausse des coûts.