Les divers actifs offrent des niveaux de rendement/risque inhabituellement disparates avec des obligations plus attractives que les actions pour la première fois depuis 15 ans. Nos indicateurs d’évolution à court terme des marchés développés sont au vert clignotant (achat) sur les obligations des zones développées, et au rouge sombre (vente) pour les actions.
Deux des plus anciens adages de l’investissement sont : 1) Tout risque a un prix. et 2) La performance future s’explique par les scénarios de risque, pas par le scénario central. Actuellement, les divers actifs offrent des niveaux de rendement/risque inhabituellement disparates avec des obligations devenues plus attractives que les actions.
La disparité la plus frappante s’observe entre les emprunts d’État et les actions des marchés développés : les primes obligataires sont supérieures aux primes de risque des actions des marchés développés pour la première fois depuis la crise financière mondiale. Autrement dit, pour la première fois depuis 15 ans, il semble plus profitable pour les investisseurs de détenir des obligations que des actions (voir Figure 1).
Les rendements projetés redescendent par rapport au pic
La hausse des primes de risque des obligations a été stimulée par la hausse des taux à long terme (à la fois rendements réels et points morts d’inflation), dans un contexte de resserrement généralisé des spreads des obligations d’entreprise. À l’inverse, les attentes de perspectives bénéficiaires ont atteint un pic en octobre dernier et ont baissé depuis, évoluant dans la direction opposée aux obligations et soulignant leur attrait relatif.
Cette tendance est illustrée d’un point de vue très général par le graphique 1. Il est possible de la mettre en évidence d’une manière plus fine, par exemple, en valorisant les actions à l’aide d’un modèle d’actualisation des dividendes et en les comparant à diverses mesures du risque du spread. Ils présentent tous un tableau remarquablement similaire : les obligations sont bon marché et les actions sont surévaluées en comparaison (dans certains cas, à juste titre).
L’une des principales raisons de la baisse des primes de risque actions (et des estimations de bénéfices élevées) a été l’anticipation que les entreprises continueront à répercuter la hausse des coûts sur les consommateurs et pourront ainsi maintenir leurs marges étant proportionnellement résilientes.
Les marges aux États-Unis ont baissé de 175 pb depuis l’année dernière, mais devraient rebondir rapidement ; en revanche, pour les entreprises de la zone euro, face à une hausse comparable de leurs coûts et des prix de vente, les marges ont été beaucoup plus résistantes, reculant de seulement 70 pb (Graphique 2).
Quelle tendance pour les marges et les valorisations ?
Les travaux récents de notre équipe multi-actifs visent à quantifier où les marges et les valorisations pourraient diminuer, sur la base des relations historiques entre les prix des intrants et les prix à la production selon les indices des directeurs d’achat (PMI) et les estimations des marges et des valorisations des entreprises.
Par exemple, en Europe, la relation entre le VE/EBITDA estimé[1] et l’écart de prix dans l’indice PMI manufacturier a une corrélation de -0,6, VE désignant la Valeur d’entreprise.
L’évolution des estimations de VE/EBITDA à 12 mois semble beaucoup plus forte que prévu, au niveau 3 plutôt que 1 sur l’axe y dans le graphique ci-dessous (Graphique 3). Nous prévoyons une nette correction vers la courbe ajustée dans les mois à venir, tout en étant conscients de l’augmentation de la dispersion récente (points rouges) par rapport à la situation antérieure (autres points).
En particulier, le signal à moyen terme fourni par les primes de risque est également étayé par notre indicateur de température du marché, qui vise à capter le sentiment, la volatilité, la répartition et le positionnement systématique sur les principaux marchés. Pour les marchés développés, les graphes produits par nos outils sont au vert pour les obligations (achat) et au rouge sombre (vente) pour les actions.
Trop de complaisance
Dans le même temps, notre cadre macroéconomique continue d’indiquer une complaisance compte tenu de la croissance des marchés développés et du scénario excessivement optimiste (« Goldilocks » : Boucles d’or) des bénéfices des entreprises, et bien plus aujourd’hui qu’au cours des premiers mois de 2023.
D’une part, la mise en place d’un scénario de base raisonnable s’est avéré plus difficile que d’habitude cette année, avec une volatilité exceptionnelle des prévisions macroéconomiques des analystes, faisant intervenir sur quelques mois l’ensemble des quatre quadrants (expansion, ralentissement, contraction et reprise) d’un cycle économique généralement pluriannuel.
D’autre part, avec 525 pb de hausse de taux toujours en train de ralentir l’activité économique américaine (Graphique 4) et l’épargne réalisée durant la pandémie désormais épuisée, les risques pesant sur un scénario central macroéconomique « idéal » semblent naturellement orientés à la baisse.
Les dernières statistiques de l’emploi aux États-Unis, par exemple, ont révélé que les chiffres non corrigés des variations saisonnières étaient si faibles que seule une variation favorable du facteur saisonnier a permis d’éviter des chiffres beaucoup plus mauvais.
Si le Bureau of Labor Statistics avait appliqué le même facteur saisonnier qu’en juillet 2022, les chiffres de l’emploi privé pour juillet de cette année n’auraient été que 60 000, soit moins d’un dixième du pic de 2021 (650 000) et cohérents avec un marché du travail quasi récessionniste.
Le fort ralentissement des heures travaillées, de l’emploi mesuré par l’enquête auprès des ménages et de l’emploi temporaire des derniers mois s’inscrit dans la même direction, et ce avant le début des remboursements de prêts étudiants en octobre, ce qui devrait peser de 0,3 % à 0,5 % sur le revenu disponible.
Considérant tout cela, les indicateurs retardés de l’économie réelle semblent sur le point de subir un ralentissement attendu depuis longtemps, comme laissent présager depuis déjà un certain temps les données les plus fiables sur le prêts et le crédit.
Pas de pause estivale
Anticipant cette évolution, il n’y a pas eu d’accalmie estivale pour nous. Nous avons profité des mouvements marqués des marchés obligataires pour renforcer notre exposition sur les marchés obligataires, en cherchant à capter la prime de risque attractive et asymétrique sur l’offre. En même temps, nous restons prudents vis-à-vis des actions.
Ces derniers jours, nous avons renforcé notre exposition aux TIPS US sur les échéances longues, car les rendements ont bondi au-dessus de 2 % dans des conditions estivales volatiles. Nous n’avons pas non plus couvert notre exposition au Crédit Investment Grade européen, en en faisant une position de rendement total au lieu d’une simple position de portage (carry trade) comme auparavant.
Nous avons également adopté une position longue sur les obligations nominales américaines à 10 ans, où l’on ne saurait dédaigner des rendements de plus de 4 %, en particulier dans le contexte actuel de croissance et d’inflation. La surexposition en sensibilité est aujourd’hui notre principale position de risque au sein des portefeuilles multi-actifs.
Le ralentissement de la croissance (voire une récession) devrait entraîner une baisse des estimations de bénéfices de 15 à 30 % en fonction du marché et de la période considérée. Cependant, la communauté des analystes envisage collectivement une croissance à deux chiffres des bénéfices capitalisés aux États-Unis au cours des 24 à 36 prochains mois, et des chiffres élevés en Europe.
Cette croissance intervient après une période de profits exceptionnels déjà réalisés après la période du Covid. Autrement dit, le point de départ pour davantage de croissance des bénéfices est déjà élevé, et c’est une préoccupation particulière en Europe, où les performances des indices d’actions depuis le début de l’année ont été proches de celles des États-Unis, alors que la croissance y ralentit beaucoup plus rapidement.
Les valorisations sont un autre sujet de préoccupation. Le ratio cours/bénéfices prévisionnel du NASDAQ cette année a effacé la moitié de la baisse de valorisation à partir de 2022. La hausse des multiples au cours de la première partie de 2023 s’est avérée justifiée au moins en partie, les marchés ayant commencé à anticiper des baisses de taux directeurs. Mais au fil de l’année, la croissance économique a dépassé les attentes et la Fed a gardé une attitude ferme.
Par conséquent, l’hypothèse du « pivot de la Fed » a reflué. Cela aurait dû réduire les multiples, mais l’engouement autour de l’intelligence artificielle (IA) a fait grimper les PER des valeurs technologiques. Les valorisations ont récemment ralenti, mais des perspectives de croissance médiocres ou une hausse de l’inflation pourraient facilement faire chuter les PER.
Surpondération de l’Asie émergente
Dans un contexte de prudence accrue à l’égard des actions, l’Asie émergente est notre principale surexposition. Le marché semble avoir intégré beaucoup de mauvaises nouvelles à la fois sur les bénéfices et les valorisations à terme.
Le PER prévisionnel de l’indice MSCI China, par exemple, est au plus bas, relativement à l’indice MSCI World, depuis 2015 (Graphique 5), malgré des perspectives de bénéfices bien meilleures que celles des marchés développés. Les performances de l’indice des actions chinoises depuis le début de l’année ont déçu ; cependant le récent rebond après les dernières mesures de relance annoncées par Pékin illustre la possibilité de gains en cas de nouvelles annonces.
Thibault Bougerol a contribué à la recherche pour la rédaction de cette note.
1 La valeur de l’entreprise sur le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (VE/EBITDA) compare la valeur de la dette d’une entreprise à celle des bénéfices en liquide de la société moins les charges autres qu’en liquide.
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