Le rendement des bons du Trésor américain a poursuivi sa hausse, amorcée en août, et a atteint les 5% cette semaine pour les bons à dix ans. Les investisseurs s’attendent à des taux plus élevés pour plus longtemps. Ce qui est nouveau, c’est que l’écart de rendement entre les titres à 2 et à 10 ans s’est réduit, sous l’effet de la remontée des taux à 10 ans et de la stabilité des taux courts. Nous pensons que l’impact de cette évolution sur les actifs financiers asiatiques sera faible en raison de la solidité des fondamentaux de la région. Même si nous sommes optimistes quant aux obligations asiatiques émergentes en devises locales, des facteurs idiosyncratiques pourraient entraîner des divergences de prix au sein de la zone.
Accentuation des tensions baissières
De nombreux facteurs à court terme exercent une pression à la hausse sur les rendements obligataires américains, notamment:
- La croissance américaine continue de surprendre à la hausse
- Une Réserve fédérale toujours agressive (hawkish) qui estime que l’inflation est encore trop élevée
- Une politique budgétaire laxiste (avec l’élection présidentielle américaine de 2024 en ligne de mire)
- Des échéances trimestrielles de refinancement significatives et un resserrement quantitatif
- La faiblesse du yen qui rend les bons du Trésor américain moins attractifs pour les investisseurs japonais.
À cela s’ajoutent des facteurs structurels et à long terme:
- Un rythme de croissance potentiellement plus élevé du PIB (grâce, peut-être, à l’intelligence artificielle)
- Des inquiétudes quant à la soutenabilité de la dette américaine
- Des risques d’inflation structurellement plus élevés découlant de facteurs tels que la « démondialisation » et la transition énergétique.
Par conséquent, l’écart de rendement entre les échéances courte et longue de la courbe des taux (des bons du Trésor américain) s’est réduit car les rendements à long terme augmentent plus rapidement que ceux à court terme (voir graphique 1).
En règle générale, vers la fin d’un cycle de resserrement de la politique monétaire, nous nous attendons à ce que les rendements à court terme chutent plus rapidement que ceux à long terme à mesure que les attentes du marché en matière de baisse des taux se réalisent – ce que l’on appelle une accentuation haussière, ou « désinversion », de la courbe des rendements.
Cependant, ce que nous observons actuellement est une accentuation baissière, le rendement à 10 ans augmentant plus rapidement que celui à 2 ans. Cela suggère que les marchés intègrent un risque supplémentaire dans les prix, appelé prime de terme (prime liée à l’échéance), des obligations à long terme.
Réaction asymétrique du marché
Cette repentification semble être cohérente avec la réaction asymétrique du marché aux nouvelles portant sur l’économie et l’inflation. Récemment, des nouvelles inattendues allant dans le sens d’une augmentation de la croissance ont entraîné de fortes hausses des rendements des obligations à long terme, tandis que les nouvelles montrant une inflation à la baisse ont causé des hausses modérées du marché obligataire.
Une telle réaction suggère qu’une croissance meilleure que prévu alimente les doutes des investisseurs quant à un ralentissement durable de l’inflation – en d’autres termes, les bonnes surprises laissant présager une hausse de la croissance stimulent les rendements à long terme plus que les nouvelles montrant un tassement de l’inflation ne les entrainent à la baisse.
Les données économiques récentes témoignent effectivement de la résilience de l’économie américaine. Celle-ci continue de créer des emplois à un rythme élevé, et les consommateurs ne semblent guère prêts à mettre fin à leurs dépenses effrénées. Les données sur la production et les carnets de commandes à l’industrie ainsi que les permis de construire ont toutes surpris positivement.
La hausse des rendements du Trésor américain a entraîné un resserrement des conditions financières et devrait à terme ralentir le rythme de la croissance et de l’inflation. Le président de la Fed, Jerome Powell, l’a récemment fait remarquer, affirmant que « les conditions financières se sont considérablement resserrées et que les rendements obligataires à long terme ont été un facteur important de ce resserrement ».
De l’avis de notre équipe multi-actifs, le resserrement des conditions financières pèsera sur l’économie américaine et entraînera une baisse des rendements obligataires. C’est pour cette raison que nous surpondérons les bons du Trésor américain nominaux et les obligations indexées sur l’inflation.
Impact sur les marchés émergents asiatiques
Le resserrement des conditions de liquidités américaines et la hausse des rendements du Trésor américain devraient avoir un impact négatif sur l’Asie émergente car celle-ci fait partie du « bloc dollar ». Toutefois, les fondamentaux économiques de l’Asie, meilleurs que ceux des Etats-Unis, pourraient constituer une protection. Le taux d’inflation moyen en Asie n’est qu’environ la moitié de celui des marchés développés (voir graphique 2).
En outre, les taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation (IPC) en Asie se situent déjà aux niveaux cibles pour 80 % des banques centrales de la région, tandis que l’inflation reste supérieure à l’objectif en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Les banques centrales asiatiques ont ainsi adopter un statu sur leur politique monétaire avant les États-Unis. Cela justifie notre opinion positive sur la dette des pays d’Asie émergente en devises locales.
Divergence des situations de marché
Bien sûr, les investisseurs font une distinction entre les marchés en fonction des amortisseurs économiques tels que la balance courante, le taux d’inflation et l’écart de rendement avec les bons du Trésor américain (voir graphique 3). Les pays offrant des bons du Trésor à faible rendement et dotés de marges réduites de sécurité économique – notamment des déficits de la balance commerciale et une inflation élevée – sont les plus exposés au risque de diminution des liquidités américaines et devraient donc offrir une prime de risque plus élevée (sur leurs obligations souveraines).
L’Inde, les Philippines et la Thaïlande sont les pays les plus exposés à l’impact de rendements des bons du Trésor américains durablement plus élevés en raison de l’ampleur de leurs déficits de la balance commerciale et de leurs taux d’inflation élevés. Ils sont également potentiellement plus vulnérables à une chute des marchés si une vague d’arbitrages dans les positions de risque se déclenche. Les pays ayant d’importants excédents de la balance commerciale et une faible inflation, comme la Chine, la Malaisie et Taiwan, devraient être plus résilients.
Avertissement
