Les principales banques centrales ont indiqué qu’elles pourraient s’approcher de la fin de leur cycle de relèvement des taux. La Réserve fédérale américaine (Fed) a laissé entrevoir une éventuelle pause – bien qu’elle ne s’y soit pas engagée – et les marchés semblent penser que la BCE est elle aussi proche de marquer une pause. Certains acteurs du marché tablent déjà sur une baisse des taux de la Fed au second semestre de cette année. Ce sentiment nous semble quelque peu optimiste, mais un pic de taux aux États-Unis pourrait être proche.
Le stress parmi les banques régionales américaines reste élevé, comme en témoigne les pertes conséquentes de l’indice S&P 500 Financial (figure 1). Et ce malgré la déclaration du président de la Fed Jerome Powell à l’issue de la réunion de la semaine dernière du Federal Open Market Committee assurant que le système bancaire américain était « solide et résilient ».
Les anticipations des investisseurs selon lesquelles la Fed pourrait bientôt réduire ses taux d’intérêt reposent sur les craintes que les problèmes observés jusqu’à présent parmi les banques de taille moyenne puissent ne pas s’arrêter là et que le secteur soit plus globalement menacé. Cependant, aucun signe de risque systémique n’apparaît à ce stade si bien que la Fed ne s’est pas engagée à abaisser ses taux. Il nous semble davantage plausible que la banque centrale opte pour une « pause conditionnelle » plutôt que pour une baisse en bonne et due forme des taux d’intérêt. Une telle pause pourrait être durable sachant que l’inflation reflue lentement ; l’inflation sous-jacente a oscillé entre 5,5 % et 5,6 % ces quatre derniers mois.
De bonnes intentions
La crise bancaire américaine découle en partie du régime monétaire ultra-accommodant en place de 2020 à 2022 résultant de la pandémie de Covid. Les dépôts auprès des banques se sont multipliés alors que les ménages choisissaient d’épargner l’aide financière distribuée par le gouvernement. Les banques ont investi ces liquidités dans des titres sûrs du Trésor américain à des taux d’intérêt bas. Cependant, toutes les banques n’ont pas correctement couvert cette exposition aux taux d’intérêt, et la valeur de leurs positions en bons du Trésor a diminué sous l’effet de la hausse des taux.
Les banques de plus petite taille sont désormais confrontées à des retraits de dépôts. Notons toutefois que les retraits les plus importants ont affecté un nombre limité de banques régionales, à savoir celles présentant un montant considérable de dépôts non assurés. Certaines grandes banques de type « money centre » constatent en fait une augmentation des dépôts. Pour attirer de nouveaux dépôts, les banques de plus petite taille doivent rehausser le taux de rémunération des comptes de leurs clients. Pour renforcer leurs ratios de fonds propres, les banques ont durci leurs conditions d’octroi de crédit, qui deviennent de toute façon plus strictes en raison de la détérioration des perspectives économiques. Il faut s’attendre à un durcissement de la réglementation.
La dernière enquête américaine « Senior Loan Officer Opinion Survey », publiée le 8 mai, a fait état d’un ralentissement de la demande et d’un durcissement des critères toutes catégories de prêts confondues pour la première fois depuis le premier trimestre 2009 (figure 2). La diminution de la demande de crédit contribuera au ralentissement économique souhaité par la Fed, même s’il reste à savoir dans à quel rythme et dans quelle ampleur.
L’Europe ne connaît pas de stress bancaire comparable, bien que la dernière enquête de la BCE sur le crédit bancaire ait fait apparaître un net resserrement des conditions de crédit au premier trimestre 2023, avec la plus forte baisse de la demande nette de prêts depuis la crise financière mondiale de 2008/2009.
Une décélération encore trop lente
Malgré les signes de ralentissement économique, la décélération de l’activité et de l’inflation n’est pas assez rapide pour inciter la Fed et la BCE à changer de cap. Les dernières données suggèrent que l’inflation et le marché de l’emploi aux États-Unis demeurent bien trop robustes aux yeux de la Fed. Les statistiques du mois d’avril ont révélé une inflation sous-jacente et une inflation officielle des prix à la consommation (IPC) qui continuent d’augmenter d’environ 5 % sur un an. L’économie américaine a par ailleurs créé plus d’un demi-million d’emplois, le taux de chômage est tombé à des niveaux proches de ses plus bas historiques et les salaires ont progressé à 4,4 % sur un an, rythme supérieur à celui du mois précédent.
Dans le même temps, en Europe, l’enquête de la BCE sur le secteur des entreprises a montré qu’aussi bien les producteurs que les consommateurs ressentent les effets du resserrement des conditions de crédit. Le marché de l’emploi dans la zone euro reste néanmoins solide, le taux de chômage atteignant un plus bas historique de 6,5 %. Les indicateurs économiques avancés tels que l’indice des directeurs d’achat (PMI) ont encore progressé en avril à 54,1. Cela laisse penser que le taux de chômage pourrait ne pas avoir encore touché son point bas.
Ces chiffres robustes sont cohérents avec l’estimation préliminaire d’une croissance de 0,3 % du PIB de la zone euro en glissement trimestriel alors que les anticipations tablaient sur une croissance nulle voire même négative et une inflation sous-jacente maintenue à 5,6 % sur un an en avril.
Des cibles mouvantes
On peut s’attendre à l’anticipation que les taux soient abaissés à brefs délais à titre de test. À l’instar de la « pause conditionnelle » de la Banque du Canada, une pause dans le relèvement des taux de Fed dépendra de la poursuite du ralentissement tangible de l’économie et de l’inflation.
Notons qu’avant les tensions dans le secteur bancaire américain, l’opinion du marché (et même celle de la Fed) était que le pic des taux pourrait se situer aux alentours de 6 %. Ce niveau est ensuite retombé à un peu plus de 5 %. La volatilité du rendement des bons du Trésor américain à 2 ans reflète la fréquence à laquelle les anticipations ont changé depuis le début de l’année.
Nous rejetons l’idée d’une baisse prochaine des taux d’intérêt de la Fed, bien qu’ils pourraient être proches de leur pic. La BCE est désormais plus agressive que la Fed alors que l’inflation sous-jacente s’essouffle en Europe. Il se pourrait dès lors que la politique monétaire reste plus restrictive en Europe qu’aux États-Unis pour une période prolongée.
Toutes choses égales par ailleurs, une telle divergence pourrait entraîner un raffermissement de l’euro, mais aussi une sous-performance des actions européennes par rapport à aux actions américaines.
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