En Chine, de plus en plus d’acquéreurs ont cessé de rembourser leurs prêts immobiliers aux banques parce que les promoteurs immobiliers, à court de liquidités, ne livrent plus les logements achetés sur plan. La question est de savoir si cette « grève » des remboursements de prêts immobiliers entraînera un risque systémique, c’est-à-dire une déstabilisation de tout le système financier.
Pour donner une idée de l’ampleur du problème, les prêts immobiliers représentent désormais plus de 20 % du total des prêts bancaires en Chine (voir le graphique 1) à l’issue d’une rapide croissance. Au cours des deux dernières décennies, les promoteurs ont largement eu recours aux préventes comme source de financement de leurs projets. Le rapport entre les préventes (c’est-à-dire la vente de logements sur plan) et le total des ventes de logements neufs a régulièrement augmenté, passant d’environ 58 % en 2005 à près de 90 % en 2021.
Parallèlement, le recours des promoteurs aux ventes de logements (en incluant les préventes) pour financer leurs projets est passé de moins d’un tiers de leur financement total en 2008 à 53 % en 2021.
Leur utilisation des prêts bancaires a chuté, passant de près de 20 % à seulement 11 %, d’après les données du secteur, car les recettes de ventes de terrains sont devenues une source de financement plus facile à obtenir que les prêts bancaires.
La taille du marché immobilier chinois a presque doublé entre le premier semestre 2017 et le premier semestre 2022, pour atteindre 45 000 milliards de RMB.
Dans de nombreux cas, les promoteurs obtiennent des permis gouvernementaux pour vendre les logements dès la pose des fondations des immeubles. Le recours à la prévente a considérablement augmenté l’endettement des promoteurs. Ils ont ainsi pu se procurer des liquidités rapidement pour acheter davantage de terrains, puis donner ces terrains en garantie pour emprunter davantage.
Toutefois, des problèmes de liquidité ont émergé lorsque les ventes de logements neufs, donc les recettes, se sont effondrées lors du récent ralentissement du marché immobilier. La politique restrictive du gouvernement en matière de financement immobilier a aggravé la crise de liquidité. Ce durcissement réglementaire a incité les promoteurs immobiliers à court de liquidités à paralyser de nombreux projets en prévente, et les acquéreurs ont engagé une grève des remboursements de prêts immobiliers en guise de protestation.
L’augmentation des impayés sur prêts immobiliers s’accompagne d’un risque de contagion. L’effritement de la confiance des acquéreurs pourrait en effet freiner les ventes de biens immobiliers, ce qui obligerait davantage de promoteurs à suspendre leurs projets. Cela pourrait créer un cercle vicieux, en intensifiant la perte de confiance et la grève des remboursements de prêts immobiliers, avec des défauts sur les marchés obligataires offshore en dollar américain (sur lesquels les promoteurs ont lourdement emprunté) et une augmentation des créances douteuses dans les banques locales.
Les risques restent maîtrisables
L’incidence de la grève des remboursements de prêts immobiliers est difficile à évaluer, du fait que la situation est encore très instable et qu’il existe peu de données fiables. Toutefois, quelques données officielles et publiques donnent une idée du risque systémique.
Selon les estimations des courtiers, les prêts immobiliers à risque représentaient environ 2 % de l’encours des prêts immobiliers à la fin du mois de mars 2022.1 En considérant que le montant total des prêts immobiliers en cours au deuxième trimestre 2022 était de 40 700 milliards de RMB, les prêts immobiliers à risque s’élèveraient à 813,2 milliards de RMB.
Les données officielles montrent également qu’en mars 2022, le système bancaire chinois comptait :
- 2 910 milliards de RMB de créances douteuses ;
- 5 850 milliards de RMB de provisions pour créances douteuses, ce qui implique une couverture des créances douteuses de 200,7 % ;
- 172 410 milliards de RMB de prêts totaux, ce qui implique un taux de créances douteuses de 1,69 % ;
- 173 100 milliards de RMB d’actifs pondérés en fonction des risques et un ratio d’adéquation des fonds propres de catégorie 1 de 15 %, soit 25 970 milliards de RMB de fonds propres de catégorie 1.
Si tous les prêts immobiliers à risque devenaient des créances douteuses, le taux de créances douteuses des banques augmenterait de 0,47 point de pourcentage, passant de 1,69 % à 2,16 %, tandis que le taux de couverture des créances douteuses baisserait de 43,8 points de pourcentage, passant de 200,7 % à 156,9 %.
Quelle est la gravité de la situation ?
Depuis 2019, la règle Bâle 3 exige que les fonds propres de catégorie 1 d’une banque représentent au moins 8 % de ses actifs pondérés en fonction des risques, et en incluant une réserve de fonds propres, le ratio minimum de fonds propres est établi à 10,5 %. De ce fait, le ratio de catégorie 1 estimé à 15 % en moyenne dans le système bancaire chinois semble adéquat.
Les banques chinoises n’ont besoin que de 18 180 milliards de RMB de fonds propres de catégorie 1 pour satisfaire à la règle Bâle 3. Le niveau de mars 2022 suggère une réserve de fonds propres excédentaires de 7 790 milliards de RMB. Si l’on déduit de cette réserve les 813,2 milliards de RMB de créances douteuses liées à la grève des remboursements de prêts immobiliers, le système dispose encore de 6 980 milliards de RMB de fonds propres de catégorie 1 en sus des exigences de Bâle 3 (voir la synthèse dans le graphique 2).
En conclusion
Il est peu probable qu’un risque systémique découle de la grève des remboursements de prêts immobiliers, même si certaines banques pourraient en souffrir, à moins que le problème ne devienne incontrôlable et que les défauts sur prêts immobiliers dépassent le montant de la réserve de fonds propres, ce qui supposerait une augmentation des créances douteuses de plus de 7 000 milliards de RMB, ou à moins que la hausse des créances douteuses ne provoque un effondrement de la confiance2
À Pékin, la réponse politique a été rapide. Les autorités proposent des solutions telles que des moratoires de remboursement pour les propriétaires concernés, et la mobilisation des ressources des banques, des entreprises d’État et des autorités locales pour relancer les projets suspendus et aider les promoteurs à résoudre leurs déficits de financement3
En outre, un nouvel assouplissement est attendu en matière de politique macroéconomique, car la grève des remboursements de prêts immobiliers aggrave le risque de baisse qui pèse sur la croissance économique.
Références
1 Voir « Housing Crunch Worsens », Morgan Stanley Research, China Economics, 13 juillet 2022.
2 Nous soutenons depuis longtemps que la probabilité d’un effondrement systémique de la confiance, qui conduirait à une panique bancaire et provoquerait des ravages dans le système chinois, est quasiment nulle. Lire « Chi Time : China’s Debt Vulnerability (II) – A Banking Crisis? » 22 novembre 2019.
3 Lire « Chi Time : China’s Growth Crosscurrents – What’s New? » 20 juillet 2022.
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